
Le 20 juin dernier, Fatiah BELHOUT, Account Management Director d’Hcorpo a pris part au débat animé par François-Xavier Izenic aux côtés de Valerie Hoffenberg, Fondatrice Présidente du SHe Travel Club , Emilie Bresson, Director Customer Management chez CWT et Mélanie Montana, Key Account Manager chez Timhotel.
François-Xavier Izenic
Alors, on va commencer par un premier sujet. C’est évidemment celui de la conjoncture. Nous sommes à la fin du premier semestre 2023. Et on a envie de tirer un bilan de l’activité de ce premier semestre. D’autant plus qu’on a des études et des prévisions qui sont en train de paraître sur le ralentissement de l’économie française. Nous étions, je le rappelle, à 2,4 points de croissance du PIB en 2022. Les dernières estimations de la Banque de France et de l’Insee, qui sont parues il y a quelques jours, nous montre que l’on sera aux alentours de 0,5 points aux alentours de septembre. Il y a un vrai coup de ceinture sur la croissance.
Fatiah Belhout, c’est ce que vous observez aussi ? Toujours avec cette difficulté, peut-être liée aux grands comptes, comparé aux PME qui elles sont très dynamiques. Évidemment, c’est une question de survie pour les PME que de voyager et d’aller chercher des marchés.
Les grands comptes, nous sentons que la reprise n’a pas été forcément comme celle espérée. Est-ce-que c’est ce que vous observez également chez Hcorpo ?
Fatiah Belhout
Côté Hcorpo, sur l’ensemble des volumes qu’on enregistre, nous avons plutôt une expérience très positive en ce début d’année en ce qui concerne les volumes de signatures. Les trois derniers mois représentent 80 % du volume de ce qui a été signé l’année précédente. Donc on est plutôt sur des tendances extrêmement fortes.
On peut l’expliquer de différentes manières. On voit effectivement une répartition différente entre les grands comptes et les PME. Pour les PME, il y a peut-être un gain en termes de maturité et l’objectif de commencer à adresser aussi le sujet hôtel. Donc, nous avons beaucoup de comptes de taille moyenne qui entrent aujourd’hui dans nos portefeuilles.
Côté grands comptes, ce que nous observons, c’est l’impact du changement du voyage au global, avec peut-être moins de voyages intercontinentaux et une forte reprise sur la partie continentale, ainsi que sur la partie domestique. Cela fait que les voyages sont moins nombreux, mais peut être plus longs aussi parfois. Et donc ça change la donne en termes de volumes.
François-Xavier Izenic
Oui tout à fait, ça c’est un élément intéressant.
Fatiha Belhout, est-ce-que vous ressentez, aujourd’hui, cette tension entre les acheteurs et les fournisseurs au moment des nouvelles négociations, pour les mois et les années à venir ?
Fatiah Belhout
La tension, je pense qu’on peut dire qu’elle était déjà présente depuis l’année dernière. On était dans un contexte, pendant la période COVID, où beaucoup d’acheteurs ont étendu leurs tarifs d’une année sur l’autre. Les hôteliers s’y retrouvaient en se disant qu’ils gardaient la même tarification, en attendant de voir ce qui allait se passer. Quelques acheteurs s’étaient lancés dans des négociations peut-être plus musclées à l’époque, ce qui n’avait pas forcément été perçu de manière très positive par certaines chaînes hôtelières.
Dans ce contexte-là, c’est assez particulier. Parce qu’en fait, en tant qu’acheteur, nos clients vont se lancer dans une négociation, dans un contexte où les tarifs vont vers le haut. Là, on va certainement atteindre un montant prix moyen plateau. Et c’est à l’heure actuelle que les acheteurs réfléchissent à leur stratégie. Donc il faut peut-être essayer de réfléchir aux partenaires les plus forts, avec lesquels continuer à maintenir des partenariats et à privilégier la tarification fixe pour pouvoir se protéger des évolutions de prix sur le futur. Mais pour ça, il faut du volume. Il faut pouvoir justifier d’une négociation cohérente. Pour le reste du contenu, les hôteliers et les chaînes vont avoir tendance à diriger les clients plutôt vers de la tarification floating, qu’elle soit dynamique ou chain deal. Mais il y a aussi une alerte là-dessus. Il faut s’assurer de pouvoir être cohérent. Et puis peut-être privilégier une relation plus stratégique avec un partenaire, plutôt que de multiplier des accords un peu partout. C’est-à-dire avoir une négociation forte, mais un peu plus exclusive.
François-Xavier Izenic
Vous dites que le prix moyen est en train d’atteindre un plateau. Est-ce que ça signifie qu’aujourd’hui, on a atteint le maximum de l’inflation et qu’a priori ça devrait se calmer au cours du deuxième semestre. C’est votre sentiment ?
Fatiah Belhout
Si la tarification hôtelière suit les tendances qu’on peut observer en termes de taux pratiqués par les banques, et qu’on écoute les grandes banques américaines et européennes qui ont tendance à alerter sur le fait que les augmentations, les révisions de taux directeurs, vont arriver à stagner, il ne devrait pas y avoir d’autres augmentations. Donc si le secteur suit cette tendance très macro, on espère pouvoir arriver à une situation de plateau et revenir à la normale.
Maintenant, il y a une alerte quand même sur les événements qui vont avoir lieu en septembre. On va se retrouver en France avec la Coupe du Monde de Rugby, non seulement à Paris mais aussi sur des villes secondaires. Il faut que les acheteurs, peut-être même plutôt les Travel Managers, puissent communiquer, prendre les devants et s’assurer que leurs équipes essayent peut-être d’éviter certaines villes pendant les périodes de match. L’idée c’est qu’ils organisent leurs rendez-vous en fonction, pour éviter un surcoût temporaire.
François-Xavier Izenic
Et ça, c’est évidemment un vrai facteur d’inflation. On sait que la demande va être très forte, évidemment, compte tenu des événements qui vont avoir lieu en France. Vous parliez de la Coupe du Monde de rugby en septembre, et on a évidemment la perspective des Jeux Olympiques l’année prochaine. Et ça risque de tendre sérieusement, en effet, les tarifs sur ces périodes-là.
Alors, je disais, troisième et avant dernier sujet qui est connexe avec les négociations entre les acheteurs et les hôteliers. C’est ce fameux leakage, dont la presse aujourd’hui se fait le relais. Il s’agit de ces réservations qui sont effectuées en dehors des canaux recommandés par l’entreprise. Et ce fameux leakage, il est revenu, selon la presse, au niveau d’avant COVID. C’est-à-dire, qu’on a encore 5 à 6 réservations sur 10 qui se font en dehors des canaux recommandés par l’entreprise, en matière d’hôtellerie. Sur l’aérien, c’est beaucoup moins fort. Mais dans l’hôtellerie, on est à ces niveaux-là.
On peut donc se poser ces questions : premièrement, est ce que les outils sont mauvais parce qu’ils n’arrivent pas à contourner cette faiblesse ? Deuxièmement, est-ce-que ce sont les Travel Managers qui sont mauvais et qui n’arrivent pas à communiquer suffisamment sur la force des outils ? Ou est-ce que, finalement, ces tendances sont une fatalité ? C’est un chiffre incompressible. Cela fait des années qu’on est à ce niveau de leakage, et ça ne bouge pas. Donc est-ce qu’il ne faut pas simplement faire avec ?Fatiah Belhout, quel est votre sentiment sur ce retour du leakage ? C’est un peu désespérant ça quand même.
Fatiah Belhout
Je pense que cette période a accentué peut-être un peu plus cette tendance pour certains fournisseurs du secteur. Et ce sujet est d’autant plus important que quand on parle avec des acheteurs, en réalité, il y a quatre sujets majeurs qui, pour eux, sont extrêmement importants : la digitalisation, la conformité à la politique voyage, le reporting et également la RSE.
Mais pour pouvoir agir sur ces sujets-là, il faut avoir une visibilité claire de ce qui est dépensé. Donc c’est le premier sujet : comment est-ce qu’on adresse ce problème ? Et vous faisiez d’ailleurs la comparaison avec l’aérien. C’est intéressant, car on se dit que les outils sont les mêmes. Un outil où on va réserver son billet d’avion, c’est le même outil utilisé pour trouver son contenu hôtel. Donc pour moi, il y a effectivement une question « outil », mais qui serait secondaire.
Il y a aussi une question de comprendre ce qui est attendu par le voyageur. Sur l’aérien, il y a une prise en charge qui est à 100 %, qui fait que quand un voyageur se rend sur son outil pour la partie billetterie, il va être pris en charge à 100 %.
On observe également, pour les agrégateurs qui ont des solutions de paiement, que l’adoption décolle assez rapidement à la mise en place de ces solutions.
Donc, le paiement est un sujet, le contenu est un sujet. Isabelle Chauveau parlait de la possibilité d’avoir énormément de contenus différents. Je pense que c’est important d’avoir des solutions qui apportent une pluralité aussi forte que dans le loisir. Le voyageur qui va réserver son billet sur un OBT est le même qui va réserver ses vacances sur un site grand public et qui a besoin d’avoir énormément de choix et de pouvoir comparer. Donc, il y a un vrai travail à faire.
Côté agrégateurs, je pense que c’est moins un sujet. On remarque que les TMC traditionnelles, parfois, viennent toquer à la porte de certains agrégateurs pour les faire travailler avec elles quand elles n’ont pas de solution maison. Ça leur permet de pouvoir pallier le fait que le GDS est peut-être encore un petit peu limité en termes de choix. Mais du coup, c’est un vrai sujet qui va continuer à être extrêmement important.
J’encourage fortement tous les acheteurs à se poser la question, à mettre en place des plans d’adoption, quelles que soient les solutions qui sont choisies. Il faut vraiment prendre le sujet à bras le corps. Car pour pouvoir partir en sourcing et négocier de manière conforme en ayant une visibilité claire, il faut savoir où est ce qu’ils dépensent, pour pouvoir traiter les sujets de conformité et de RSE qui sont extrêmement importants et qui englobent aussi le sujet de la place de la femme dans le voyage.
François-Xavier Izenic
Valérie Hoffenberg disait : il faut que les outils de réservation puissent afficher les critères qui permettent à la voyageuse d’affaires de pouvoir choisir en toute connaissance de cause. C’est un sujet pour vous ?
Fatiah Belhout
Tout à fait. Chez Hcorpo, on est extrêmement sensibles à ce sujet et on le traite à différents niveaux. En amont du voyage, sur la partie sourcing, on a des équipes advisory qui mènent des négociations. Dans le cadre de ces négociations, c’est important de qualifier, de poser les bonnes questions.
Par le passé, j’ai été amenée à traiter sur des appels d’offres assez globaux, où la question était d’abord très anglo-saxonne. Mais d’autres régions du monde s’en sont emparées. En Asie, typiquement, notamment dans les entreprises tech qui ont énormément de collaborateurs qui se déplacent depuis le Point of Sale Inde. Ils ont ces questions qui reviennent souvent. Celle de savoir, par exemple, si dans l’hôtel il y a un étage spécifique qui est prévu pour les voyageuses, pour pouvoir les isoler et les protéger.
Je pense que certains pays ont, peut-être, de l’avance par rapport à d’autres. En France, c’est quand même un sujet extrêmement important, qui revient de plus en plus dans nos discussions. Je suis d’accord avec Isabelle Chauveau sur le fait qu’il faut l’englober dans le cadre du sujet RSE. Et puis choisir ensuite quels sont les sujets qu’on souhaite prioriser.
A l’heure actuelle, on a encore des discussions en cours avec certains OBT pour pouvoir intégrer les labels green. L’enjeu est de savoir comment est-ce qu’on donne la priorité à certains sujets, tout en mettant quand même suffisamment d’efforts sur ce sujet-là qui est extrêmement important. Et en parallèle, on commence un troisième volet. On commence à noter des initiatives de la part de certains grands groupes qui souhaitent, pour leurs propres employés, qui seraient en situation de danger dans leur vie privée, dans leur vie personnelle, de pouvoir amener des plateformes de réservation pour qu’une salariée qui se trouve dans une situation conflictuelle dans son couple puisse venir séjourner dans un hôtel de manière complètement anonyme et que son conjoint ne puisse pas potentiellement la retracer.
Donc, ce sont vraiment des sujets sur lesquels on est très contents de pouvoir accompagner des associations ou nos clients, et d’avancer dans ce sens-là. C’est plus simple de le faire sur une version en standalone, que via une intégration dans les outils des clients. Mais on essaye de maintenir cette discussion ouverte avec les OBT, pour faire en sorte qu’ils prennent aussi à bras le corps ces sujets, sachant qu’on est tous dans un écosystème où on est dépendant les uns des autres. Donc il faut avancer de manière coordonnée avec les TMC, avec les hôtels, avec les OBT.
François-Xavier Izenic
En tout cas, les choses sont en train d’évoluer et sont en train de changer. Et personne ne va ne pas s’en plaindre. On va suivre évidemment avec intérêt toutes les initiatives qui porteront sur ces sujets liés aux voyageuses d’affaires.